Etre Européen, c'est être humaniste.

Source: P. (Pierre) Moscovici i, published on Wednesday, September 9 2015.

L'Europe connaît actuellement la crise de réfugiés la plus sévère depuis la seconde guerre mondiale, et cette crise est existentielle. Elle met en jeu la vie même de centaines de milliers d’individus qui affluent vers notre continent pour fuir une guerre ou un régime barbares, dans l’espoir d’un avenir non pas meilleur, mais simplement serein, pour eux et leurs enfants.

Etre Européen, c'est être humaniste.

L'Europe connaît actuellement la crise de réfugiés la plus sévère depuis la seconde guerre mondiale, et cette crise est existentielle.

L'Europe connaît actuellement la crise de réfugiés la plus sévère depuis la seconde guerre mondiale, et cette crise est existentielle. Elle met en jeu la vie même de centaines de milliers d’individus qui affluent vers notre continent pour fuir une guerre ou un régime barbares, dans l’espoir d’un avenir non pas meilleur, mais simplement serein, pour eux et leurs enfants.

Cette crise est aussi un test pour nous, Européens.

Cette crise est aussi un test pour nous, Européens. Un test pour notre mémoire collective, pour nous qui vivons sur un continent qui a connu la cruauté, la barbarie humaines, qui a vécu la shoah, pour nous qui avons trop souvent vu les exodes à travers les frontières ou les barbelés. C’est un test pour la solidarité européenne, pour la capacité de réponse des gouvernements nationaux et des institutions européennes, pour la confiance dans nos identités nationales, et pour notre conception même de l'idéal européen. C'est un test pour notre action face à une tâche d'une ampleur inégalée, pour nos émotions face à des images insoutenables, pour nos valeurs face aux discours populistes. Pour toutes ces raisons, l’échec n'est pas permis.

Cette crise n'est pas passagère, elle va durer : il faut l'intégrer dans nos consciences et dans nos politiques. Tout simplement parce qu'elle est le fruit d'une conjonction de facteurs sur lesquels nous n'avons pas ou peu de prise. Le premier, c'est l'extrême instabilité politique en Syrie, ainsi qu'en Irak et en Libye - s'y ajoute ailleurs, en Erythrée, une dictature d'une brutalité sans nom. Le cauchemar obscurantiste et la folie meurtrière dont est porteur Daech ne créé pas des milliers, mais des millions de réfugiés. Le deuxième facteur, c'est la proximité géographique, parfaitement fortuite, d'un continent prospère mais surtout sûr, avec cet arc de conflits. Pris ensemble, ces facteurs expliquent pourquoi plus de 340 000 migrants ont franchi les frontières de l'Europe depuis janvier.

La solution sera européenne ou ne sera pas. Je le dis sans préconception idéologique.

La solution sera européenne ou ne sera pas. Je le dis sans préconception idéologique. Il est des enjeux qui ne peuvent trouver de résolution à l'échelle nationale, de par leur nature même. Le changement climatique en est un. La crise des réfugiés en est un autre. Les gouvernements doivent donc lutter contre une propension naturelle: se débarrasser chez le voisin de ces réfugiés "encombrants" qu'ils ne sauraient voir. Se barricader pour "enfermer dehors" les demandeurs d'asile: le "not in my backyard" fait fureur dans plusieurs Etats membres. Ou au contraire expédier leur passage vers l'Etat Membre d'à côté. Voici deux déclinaisons de l'irresponsabilité nationale à l'œuvre ces derniers mois, qui ne résolvent rien et attisent l'animosité.

Le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker vient de présenter la réponse de la Commission européenne, dans son "discours sur l’état de l’Union" devant le Parlement européen.

Le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker vient de présenter la réponse de la Commission européenne, dans son "discours sur l’état de l’Union" devant le Parlement européen. Une réponse globale et ambitieuse, à la hauteur des enjeux, et chaleureusement accueillie par la représentation européenne.

Cette réponse a trois points d'ancrage, que je veux brièvement évoquer ici:

L'efficacité de la politique de retour, tout d'abord, pendant nécessaire à une solidarité accrue. Aujourd'hui, moins de 40% des décisions de retour sont effectivement exécutées: cette inefficacité fonctionne comme un appel d'air. La Commission européenne a donc défini un plan global, comprenant plus de trente actions, pour rendre cette politique de retour fonctionnelle. Un exemple simple: nous proposons que les décisions d'interdiction de territoire émises par les Etats Membres à l'égard d'un individu soient obligatoirement saisies dans l'une des bases de données européennes (SIS). Cela évitera qu'après avoir été mis à la porte par, disons, la Belgique, un migrant ne revienne dans l'espace Schengen par la fenêtre, par exemple aux Pays-Bas.

Ce plan n'est pas un tigre de papier. La Commission sort son artillerie lourde

Ce plan n'est pas un tigre de papier. La Commission sort son artillerie lourde: elle lancera des procédures d'infraction contre les Etats Membres qui seraient négligents en matière d'effectivité des retours. C'est un choix sévère - la procédure peut déboucher sur une condamnation et des pénalités très élevées - mais nécessaire pour mettre chacun face à ses responsabilités.

L'action et l'assistance à l'égard des pays d'origine et de transit, ensuite. Les maîtres mots ici sont efficacité et conditionnalité. L'efficacité, c'est notamment la mise en œuvre effective des accords de réadmission que nous avons avec 17 pays tiers, et qui achoppent parfois sur des obstacles aussi bêtes que l'absence d'interlocuteur dans les administrations du pays d'origine. C'est aussi étendre ces accords de réadmission, en déployant la diplomatie européenne.

La conditionnalité renvoie à un principe simple: "plus en échange de plus". L'Union a beaucoup à offrir: un accès préférentiel à son marché, des fonds au travers de sa politique de développement, des procédures accélérées pour l'obtention de visas… L'ensemble de nos instruments sera utilisé comme incitation, et disons-le ouvertement, comme moyen de pression, à l'égard des pays tiers pour qu'ils coopèrent davantage en matière de migrations, en particulier pour ce qui est de la réadmission de leurs ressortissants.

La solidarité européenne, enfin, qui a le plus retenu l'attention médiatique. Les mesures sont connues. 120 000 demandeurs d'asile arrivés en Italie, en Hongrie et en Grèce - les trois principaux points d'entrée actuels - seront répartis dans d'autres Etats Membres, où leur demande sera examinée. Très peu de nationalités sont concernées par ce mécanisme de "relocalisation": Syriens, Erythréens, et Irakiens. Pour chaque demandeur d'asile relocalisé, l'Etat d'accueil recevra 6000 €. 120 000: certains disent que c'est trop. C'est en fait 0.07% de la population européenne. Une goutte d'eau à l'échelle d'un continent…pour peu que la répartition soit équitable.

L'Allemagne a montré l'exemple, en donnant à tout le continent une leçon de solidarité: cela doit être notre inspiration.

Gardons un peu de recul historique. En 1979, la France a accueilli à elle-seule près de 130 000 réfugiés vietnamiens, les fameux "Boat people". Les 24 000 réfugiés qu'elle accueillera sur deux ans sont à sa portée, puisqu’elle en accueille déjà environ 14 000 chaque année, tout comme les 120 000 sont à la portée du continent. Le Président François Hollande a d'ailleurs, lundi, soutenu ces chiffres, et de nombreux maires se portent volontaires pour accueillir ces migrants, au côté d'une société civile très mobilisée. L'Allemagne a montré l'exemple, en donnant à tout le continent une leçon de solidarité: cela doit être notre inspiration. Les principes doivent nous guider, pas le flux et le reflux des évènements, et encore moins les sondages.

Il se trouve qu'accueil de réfugiés et performance économique ne sont pas incompatibles. Il se trouve même qu'ils se renforcent.

Il se trouve qu'accueil de réfugiés et performance économique ne sont pas incompatibles. Il se trouve même qu'ils se renforcent. C'est un discours que l'opinion publique n'est pas spontanément prête à entendre dans un contexte de chômage élevé, dans un contexte de doute identitaire. J'en ai bien conscience. Mais notre responsabilité est aussi de ramer à contre-courant des idées fausses. Les études économiques n'établissent pas de lien entre chômage et migrations. Elles établissent bien en revanche leurs bénéfices économiques sur le PIB du pays d'accueil, qu'elles dynamisent, et sur sa dette, que les migrants aident à rembourser alors qu'ils n'ont pas contribué à la former. Angela Merkel l’a bien compris.

Dans cette crise - pourquoi le cacher? - l'Europe joue son identité, j'allais dire son humanité.

Dans cette crise - pourquoi le cacher? - l'Europe joue son identité, j'allais dire son humanité. Sa réponse ne peut être le laxisme généralisé. Elle ne peut être non plus la xénophobie, la discrimination religieuse, le repli sur nos frontières. Une réponse inhumaine ne nous correspond pas: l'Europe est un espace de liberté, une communauté de valeurs, un idéal démocratique. Etre Européen, c'est être humaniste. Nous avons tous été profondément bouleversés par l'image d'un petit garçon de trois ans mort noyé sur les côtes de Turquie. Je ne veux pas parler de drame humain, tant ce terme, trop galvaudé, est en dessous de ce qu'il décrit. Nous avons à faire un choix historique, au prix d'une Europe qui oui, demain, sera un peu plus diverse. Est-ce un mal? Nous avons la capacité, les moyens, et à présent la volonté de redonner un destin à des réfugiés dont le seul crime est de fuir la barbarie. Si c'est ça, être Européen, ça me va !